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Le Livre du secret de la création par le pseudo-Apollonios de Tyane



C'est sous le nom Apollonios de Tyane qui a été arabisé en Balînoûs (Bélinous du traité), qu'apparaît pour la première fois la courte et très célèbre Table d'émeraude d'Hermès Trismégiste, dans le Livre du secret de la Création (Kitâb sirr-al-Khalîqa). Le texte arabe date du IXe siècle ; il sera traduit en latin vers 1140 par Hugues de Santalla sous le titre Secretum Secretorum.


Le Kitâb sirr al-Khalîqa wa san’a al-tab'a (« Livre du secret de la création et de l'efficacité de la nature ») est donc un traité alchimique supposer avoir été rédigé par le célèbre mage-philosophe grec Apollonius de Tyane, qui n’aurait lui-même fait que recopier un livre d’Hermès Trismégiste découvert par ses soins dans une crypte, comme l’expose le prologue de l’ouvrage. Des deux rédactions - longue et courte - du texte arabe, seule la courte a fait l’objet d’une traduction latine, effectuée dans la première moitié du XIIe siècle par Hugues de Santalla, et cette traduction ne subsiste que dans deux manuscrits, toutes deux conservés à la Bibliothèque Nationale de France : Lat. 13951 (première moitié du XIIe s., anciennement à l’abbaye de Saint-Germain-des- Prés) et Lat. 13952 (XVIIe s.), copie de sauvegarde du précédent.


On reconnaît dans cette version latine, qui est plutôt une adaptation qu’une traduction fidèle, les six parties du texte arabe - (1) le créateur et ses créatures, (2) les corps célestes et la météorologie, (3) les minéraux, (4) les plantes, (5) les animaux, (6) les êtres humains -, mais la structure d’ensemble est différente : le volumen primum, inti­tulé De causa materiali, part du créateur pour arriver aux plantes ; le volumen secundum, intitulé De secretis creature formam recipientis, regroupe les êtres pourvus d’âme (forma). L’ouvrage comprend en outre un prologue et un épilogue narratifs, où Apollo­nius - ego Apollonius, in prestigiis admirandus - raconte son entrée, à la suite de diverses péripéties, dans la crypte située aux pieds d’une lapidea effigies d’Hermès, multiplici colorum varietate prefulgens, quam eiusdem opifex illustris supra vitream columpnam invacillanter atque firmius locaverat. Il y découvre, dans les mains d’un senex in aureo scabello residens qui n’est autre qu’Hermès, un livre - le De secretis naturœ - portant ces mots : Hic sunt geniture archana et principales omnium rerum cause, et une tabula viridissimi smaragdinis surmontée de l’inscription : Hic expressa nature inscribitur efficacia. C’est la très célèbre Table d’émeraude, qui constitue en quelque sorte le complément pratique du livre des « secrets de la nature ». Le texte de la Table, aussi court qu’énigmatique, figure à la toute fin de l’épilogue. (source: Françoise Hudry, Chrysopoeia, Revue publiée par la Société d'Étude de l'Histoire de l'Alchimie, VI (1997-1999) : Cinq traités alchimiques médiévaux, Paris-Milan, Archè, 2000, p. 1-154).


Le texte introductif et la Table d'émeraude


C'est ici le livre du sage Bélinous, qui possède l'art des talismans: voici ce que dit Bélinous. Je vais exposer et développer dans ce livre la science qui m'a été donnée, afin que vous l'entendiez, qu'elle pénètre dans vos esprits, et qu'elle s'insinue jusqu'aux principes de votre être. Si mes paroles en pénétrant dans une âme, mettent en action ses facultés et communiquent le mouvement à ses ressorts naturels, l'homme en qui elles produiront cet effet, jouit de toute la perfection de son être; sa nature n'est altérée par aucun accident, son âme est exempte des ténèbres qui pourraient former un voile entre elle et la recherche de la science: elle recueillera le fruit de mes paroles à proportion de son degré de force. Les instructions plus faciles qu'elle aura d'abord reçues, la fortifieront et la rendront capable d'acquérir la science, et de porter ses regards sur les variétés infinies de la composition des êtres, et sur les causes de toutes choses. Mais si un homme entendant mes paroles n'en ressent aucune impression, si elles ne mettent pas en mouvement les principes de son être, c'est une marque que ses yeux sont enveloppés de ténèbres ; alors le chaos immense qui sépare ces premières et plus simples instructions des degrés les plus sublimes de la science, sera pour lui un obstacle insurmontable, tel qu'un nuage épais, qui par son ombre obscure intercepte aux yeux même les plus sains, la vue des astres et l'éclat de leur lumière.


Je vous ferai connaître quel est mon nom, afin que vous soyez épris d'amour pour ma science, que vous méditiez mes paroles, que vous les ayez devant les yeux le jour et la nuit, et qu'en en faisant une étude assidue, vous parveniez à connaître le secret de la nature.


Je suis le sage Bélinous, qui possède l'art des talismans et des choses merveilleuses. J'ai reçu du maître de l'univers une science toute particulière, supérieure à la nature, si subtile qu'elle échappe aux accidents de la matière, forte et pénétrante. Par les sens intérieurs qui sont la pensée, la réflexion, l'intelligence, l'esprit et le jugement, j'ai saisi tout ce qui est insensible aux sens extérieurs, et j'ai connu par l'organe des sens extérieurs, tout ce qui tombe sous leur action, les couleurs, les saveurs, les odeurs, les sons et les sensations du toucher. Il n'est aucune créature, soit du nombre des substances spirituelles et subtiles, soit parmi les êtres grossiers et corporels, rien de ce qui peut être saisi par l'organe des sens extérieurs ou intérieurs, dont je ne sois parvenu à connaître la nature, la cause et la formation. Ce livre les pénètre toutes; semblable à une lance fine et inflexible, il triomphe de tous les obstacles que lui oppose la matière grossière et corporelle.


Maintenant prêtez l'oreille aux instructions que je vais vous donner. Toutes choses sont composées de quatre principes élémentaires, le chaud, le froid, l'humide et le sec. Ce sont là les éléments de tout ce qui existe; c'est par leur combinaison que toutes choses sont formées; ils sont combinés les uns avec les autres, de telle manière qu'ils sont tous emportés par le même mouvement de rotation, et ne forment qu'un seul assemblage. Une seule sphère les entraîne dans son mouvement orbiculaire; la partie la plus élevée de son orbite est semblable à la partie inférieure, et les extrémités, quoique éloignées, n'ont entre elles aucune différence; car le tout est d'une même substance, d'une même goutte, et ne forme qu'un même corps sans aucune distinction ou différence, jusqu'à ce que les accidents venant à influer sur cette substance, ils la modifient, ses parties se séparent, et il s'en forme des êtres diversifiés entre eux, à raison des différentes combinaisons des principes élémentaires qui concourent à leur formation; et ces êtres prennent des noms différents, suivant la variété de leur substance et de leurs formes.

De ces différences de combinaisons, il en résulte des rapports de sympathie et d'antipathie entre la substance des différents êtres; les uns se recherchent, les autres se repoussent réciproquement. Ils se tournent et se portent les uns vers les autres à raison des affinités qui existent entre eux; ils semblent inviter les êtres qui leur sont semblables, à s'unir à eux, et repousser ceux qui leur sont contraires par l'opposition qu'ils leur témoignent. C'est là le principe fondamental de la science; c'est en cela que consiste la connaissance de la cause primitive de la variété des êtres.


J'ai exposé ici cette doctrine des rapports de sympathie et d'antipathie des quatre principes élémentaires, afin que cette instruction serve à former et à exercer l'esprit de ceux qui la liront, qu'ils connaissent comment on peut détourner les êtres de leur nature primitive, et qu'ils saisissent les affinités et les oppositions que ces principes ont entre eux. Par là ils seront en état d'entrer dans la connaissance des causes de toutes choses. Cette matière étant ainsi placée à la tête de cet ouvrage, celui qui l'aura une fois bien comprise, connaîtra l'abrégé de toute la science: cette connaissance lui servira de guide pour parvenir à celle de tous les êtres, et il comprendra de quelle manière a été fait tout ce qui existe, et comment la nature a été formée. Je vais maintenant vous apprendre ce qui me concerne en particulier.


J'étais orphelin du peuple de Tuaya [lire: Tuana (Tyane)], dans une entière indigence et dénué de tout. Il y avait dans le lieu que j'habitais une statue de pierre élevée sur une colonne de bois; sur la colonne on lisait ces mots: Je suis Hermès à qui la science a été donnée; j'ai fait cet ouvrage merveilleux en public, mais ensuite je l'ai caché par les secrets de mon art, en sorte qu'il ne puisse être découvert que par un homme aussi savant que moi. Sur la poitrine de la statue on lisait pareillement ces mots écrits en ancien langage: Si quelqu'un désire connaître le secret de la création des êtres, et de quelle manière a été formée la nature, qu'il regarde sous mes pieds. On venait en foule voir cette statue, et chacun regardait sous ses pieds sans y rien voir. Pour moi, je n'étais encore qu'un faible enfant; mais lorsque je fus devenu plus fort, et que j'eus atteint un âge plus avancé, ayant lu les paroles qui étaient sur la poitrine de la statue, j'en compris le sens, et j'entrepris de creuser la terre sous le pied de la colonne. Je découvris un souterrain où régnait une épaisse obscurité, et dans lequel la lumière du soleil ne pouvait pénétrer. Si l'on voulait y porter la lumière d'un flambeau, il était aussitôt éteint par l'agitation des vents qui y soufflent sans interruption. Je ne trouvais aucun moyen de suivre le sentier que j'avais découvert, à cause des ténèbres qui remplissaient ce souterrain; et la force des vents qui y soufflaient, ne me permettait pas d'y entrer à le lueur du flambeau. Ne pouvant donc vaincre ces obstacles, je tombai dans la tristesse, et le sommeil s'empara de mes yeux. Tandis que je dormais d'un sommeil inquiet et agité, l'esprit occupé du sujet de ma peine, un vieillard dont la figure ressemblait à la mienne, se présenta devant moi et me dit: Lève-toi, Bélinous, et entre dans cette route souterraine; elle te conduira à la science des secrets de la créature [lire: de la création], et tu parviendras à connaitre comment la nature a été formée. Les ténèbres, lui répondis-je, m'empêchent de rien discerner dans ce lieu, et la lumière ne peut résister au souffle des vents qui y règnent. Alors ce vieillard me dit: Bélinous, place ta lumière sous un vase transparent, elle sera ainsi à l'abri des vents qui ne pourront l'atteindre, et elle t'éclairera dans ce lieu ténébreux. Ces paroles firent renaitre la joie dans mon âme, ej sentis que j'allais jouir de l'objet de mes yeux, et lui adressant la parole: Qui êtes-vous, lui dis-je, vous à qui je suis redevable d'un si grand bienfait? Je suis, me répondit-il, ton créateur, l'être parfait. En ce moment je me réveillai rempli de joie, et ayant placé une lumière sous un vase transparent, comme il m'avait été ordonné de le faire, j'entrai dans ce souterrain. J'y vis un vieillard assis sur un trône d'or, et qui tenait d'une main une tablette d'émeraude, sur laquelle était écrit: C'est ici la formation de la nature; devant lui était un livre sur lequel on lisait: C'est ici le secret de la création des êtres, et la science des causes de toutes choses. Je pris ce livre hardiment et sans crainte, et je suis sortis de ce lieu. J'appris ce qui était écrit dans ce livre du Secret de la création des êtres; je compris comment la nature avait été formée, et j'acquis la connaissance des causes de toutes choses. Ma science rendit mon nom célèbre; je connus l'art des talismans et des choses merveilleuses, et je pénétrai les combinaisons des quatre principes élémentaires, leurs différentes compositions, leurs antipathies et leurs affinités.


I. Vrai, vrai, indiscutable, certain, authentique (1) !

II. Voici, le plus haut vient du plus bas, et le plus bas du plus haut; une oeuvre des miracles par une chose unique.

IIIa. Comme les choses ont toutes pris naissance de cette matière par un procédé unique.

IIId. [Comme son oeuvre est merveilleuse ! Il est le principe du monde et celui qui le dirige.] (2)

IV. Son père est le soleil, sa mère la lune; le vent l'a porté dans son ventre, la terre l'a nourri.

V. Il est le père des enchantements, il veille sur les miracles, parfait en forces; l'éveilleur des lumières.

VI. Un feu qui devient terre...

VII. Ôte la terre du feu, le subtil du grossier, avec prudence et art.

VIIIa. Il monte de la terre au ciel et s'empare des lumières d'en haut, puis il redescend sur la terre.

VIIIb. Et en lui est la force du plus haut et du plus bas.

VIIIc. Tu deviendras ainsi le maître du plus haut et du plus bas.

VIIId. Car avec toi est la lumière des lumières, aussi les ténèbres fuiront-elles devant toi.

IX. Avec la force des forces tu surmonteras toute chose subtile, tu pénétreras toute chose grossière.

X. Conformément à l'origine du grand monde

[l'oeuvre prend son origine, et c'est ma gloire] (1).

XII. Aussi ai-je été appelé Hermès triple en sagesse.


1. La numérotation des versets, introduite par Julius Ruska àpartir de la version latine de la Table d'émeraude dans son livre Tabula smaragdina et suivie par Martin Plessner (voir la bibliographie en tête de ce volume), permet d'établir des comparaisons serrées entre les différentes versions existantes de la Table d'émeraude.

2. Les versets numérotés 3b et 3c par Ruska ne sont que des variantes du verset 3a, plus ou moins redondantes: c'est pourquoi nous ne les donnons pas. Quant au verset 3d, il ne figure que dans deux des cinq manuscrits utilisés par Ruska. Plessner le commente ainsi: « Nous voyons déjà là à l'oeuvre l'interprétation monothéiste de la Table d'émeraude, qui apparaît de façon particulièrement marquante dans la traduction latine du Secret des secrets, à laquelle il faut sans doute également imputer le meditatione unius ».


 

Source:

Titre: Hermès Trismégiste, la Table d'émeraude

Édition: Les Belles Lettres

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