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Une épigramme sur Apollonios de Tyane


Épigramme évoquant Apollonios de Tyane, à Adana (Turquie)

Cet article a été extrait de :

Une épigramme sur Apollonios de Tyane

C. P. Jones, Université de Toronto

Le Journal des études helléniques, Vol. 100, numéro du Centenaire. (1980), pp. 190-194.



Une inscription d'importance majeure, se trouvant maintenant au Musée d'Adana, contient une épigramme sur Apollonios de Tyane.


L'inscription est découpée sur un seul grand bloc, aujourd'hui endommagé sur la gauche, qui servait à l'origine d'architrave ou de linteau. Il convient de noter le signe de ponctuation ( : ) après XXXXX et d'élision (~) après rho' ; la feuille qui remplit l'espace vide à la fin de la ligne 4 ; globalement l'écriture est très travaillée, notamment le rho en forme de crosse de berger, le xi assez élaboré et l'oméga en forme de lyre. Cet étrange lettrage rend hasardeuse la datation de l'inscription à partir de ce seul élément. Une date du IIIe ou du IVe siècle semble à peu près correcte, et correspondrait au contenu de l'épigramme.


L'origine de la pierre est également incertaine, bien que l'on présume qu'elle se trouve en Cilicie orientale. Une suggestion intéressante, faite par certains chercheurs, l'épigramme proviendrait de la ville côtière Aegaeae. Celle-ci est étroitement liée à Apollonios : le jeune sage a reçu sa formation pythagoricienne dans la ville, et a commencé sa carrière religieuse en résidant dans le célèbre sanctuaire d'Asclépios. Son séjour à Aegaeae fut relaté par un des citoyens, un certain Maximus. Cependant, les revendications d'une ville plus proche d'Adana ne doivent pas être ignorées - Tarse. Apollonios commença ses études à Tarse, mais en dégoût de son immoralité, il se rendit à sa ville rivale Aegaeae ; plus tard, cependant, après qu'il ait intercédé pour la ville auprès de l'empereur Titus, celui-ci la considéra comme un "fondateur et un garant" ; et il y effectua aussi une guérison miraculeuse.


Traduction de l'inscription


Cet homme, nommé d'après Apollon,

et qui rayonne sur Tyane,

a éteint les fautes des hommes.


Le tombeau à Tyane (a reçu) son corps,

mais en vérité le ciel l'a reçu

pour qu'il puisse chasser la douleur des hommes

(ou: chasser les douleurs d'entre les hommes).


- Ancienne inscription, traduite par C. P. Jones en anglais -


Ainsi restaurée et interprétée, l'épigramme parle d'Apollonios comme un être plus qu'humain, si ce n'est explicitement comme un héros ou un dieu. Le bâtiment sur lequel elle était inscrite semble avoir contenu sa statue ; elle pourrait bien avoir ressemblé au "petit temple" de Polémon à Smyrne. Il est notoire que les empereurs interdisaient le culte des gouverneurs romains qui était habituel sous la République : mais les honneurs divins rendus par une ville à ses notables citoyens ou bienfaiteurs, tels que la mère de Dio Chrysostome ou le sophiste Polemo, se retrouvent occasionnellement sous l'empire.


L'histoire de la réputation posthume d'Apollonios est longue et complexe, et il est naturel de se demander si l'épigramme peut y avoir une place précise. Les premiers pas vers son culte peuvent déjà avoir été faits de son vivant : selon Philostrate, les Spartiates étaient prêts à l'adorer comme un dieu mais Apollonios déclina "afin de ne pas susciter l'envie" (VA iv 3 I). À Éphèse, il arrêta un fléau, et il y a des preuves qu'il y fut adoré par la suite sous l'apparence d'Héraclès Alexikakos.[FN:34 Lact. div. inst. v 3.14-15]


D'autres villes dans lesquelles on se souvient de lui comme d'un saint homme, comme Aegaeae et Tarse, ont peut-être aussi fondé des cultes à son égard, plus probablement après sa mort qu'avant. Comme il est naturel, le centre principal de son culte était sa ville natale, Tyane. L'empereur Caracalla y a fondé un somptueux sanctuaire à son effigie : il semble toutefois probable, surtout au vu des cultes qu'il a pratiqués ailleurs, que le culte lui ait été rendu à Tyane bien avant Caracalla. Il se peut même qu'un sanctuaire antérieur ait été construit aux frais de l'Empire.


Par conséquent, on ne peut pas supposer que l'épigramme est postérieur à Philostrate simplement parce qu'il implique la divinité Apollonios. Cependant, il y a un autre élément pour sa réputation posthume qui pourrait fournir un indice : son utilisation par les opposants du Christianisme. Il vaut la peine de rappeler les allusions les plus notables à Apollonios dans la littérature païenne des troisième et quatrième siècles, et de demander si elles aident à dater l'épigramme actuel. Porphyre, dans son ouvrage Contre les Chrétiens, a cité Apollonios ainsi que Moïse et Apulée comme de grands thaumaturges. Un oracle conservé dans la "Théosophie de Tubingen" est une réponse à une personne qui demandait si une vie pure pouvait rapprocher un homme "de Dieu" ; Apollon répondit qu'un tel privilège était accordé à très peu de gens, Hermès Trismégiste, Moïse.


Cet oracle peut provenir d'une source païenne du IIIe siècle, plutôt que d'une fraude chrétienne du IVe : s'il ne provient pas de Porphyre lui-même, il exprime des idées liées à la sienne. Au début du quatrième siècle, Sosianus Hiéroclès, dans son Amour de la Vérité, a soutenu parallèlement qu'Apollonios était un plus grand thaumaturge que Jésus, tout en affirmant que ses admirateurs le considéraient "non pas comme un dieu, mais comme un homme cher aux dieux".


Un défaut des arguments présentés par Hiéroclès, comme il semble l'avoir reconnu, était qu'Apollonios avait en fait été considéré par certains comme un dieu ; [42] [FN:32 Lact. Div Ins.v 3.14] et Hiéroclès éprouva aussi des difficultés à démontrer que Philostrate était moins crédule que les évangélistes. [43] [FN:43 Il est à noter que la réponse d'Eusbius est principalement dirigée vers ce point.


Un certain nombre de sources démontrent l'intérêt intense des païens vivant à la fin du quatrième siècle pour Apollonios. Le fortement antichrétien Eunapius déclara que Philostrate aurait dû appeler son travail non pas la Vie d'Apollonios mais une Visite de Dieu à l'humanité. Eunapius compare aussi son professeur, le néoplatonicien Chrysanthius, à Pythagore, Archytas de Tarente, Apollonios, 'et ceux qui vénéraient (npoo~vvjoav~cs) Apollonios', 'tous semblant simplement avoir un corps et être des hommes'. [VS 23.1.8].


Dans la partie occidentale contemporaine, Apollonios devint le moteur de l'iaganisme militant. Nicomachus Flavianus, un des plus importants partisans d'Eugène, a traduit ou adapté Philostrate par le titre : "L'apparition d'Apollonios parmi les arguties", cela reflète probablement la même atmosphère.


L'activité de Nicomaque (Nicomachus Flavianus) est indissociable d'une autre œuvre datant probablement aussi de la fin du IVe siècle, l'Historia Augusta. L'auteur fait référence à Apollonios dans deux passages, tous deux pertinents pour la question de son culte.


Le premier est notoire. Sévère Alexandre avait dans son lararium non seulement les empereurs déifiés mais aussi les optimos electos et animas sanctiores, incluant Apollonios et, ainsi que des auteurs contemporains marquants tel le Christ, Abraham, Orphée, et d'autres du même genre. La distinction entre Apollonios et les autres "âmes" peut suggérer que l'auteur l'a trouvé dans sa source et a été inspiré d'ajouter les trois autres : il n'y a rien d'intrinsèquement improbable dans le fait qu'Alexandre adore une personne à laquelle son père divin avait érigé un sanctuaire. Les autres noms, cependant, reflètent clairement les polémiques païennes de la fin du IVe siècle.


La deuxième référence à Apollonios est tout aussi révélatrice. L'empereur Aurélien, marchant à l'est contre Palmyre, fut bloqué par la résistance de Tyane et déterminé à la détruire. Cependant, il eut une vision d'Apollonios, 'ce sage de la plus célèbre renommée et autorité, un philosophe ancien, vraiment un ami des dieux, lui-même digne d'être adoré comme une divinité (numen)'. Aurélien reconnaît le "vénérable philosophe" à partir des portraits qu'il a pu observés dans de nombreux temples et, dissuadé de son but, lui promet "un portrait, des statues et un temple". L'historien continue d'exalter Apollonios comme un de ceux qui "ont donné la vie aux morts, et ont dit et fait beaucoup plus qu'un être humain" ; les curieux sont invités à consulter les livres écrits à son sujet en grec ; en fait, l'auteur lui-même dit "si la faveur du grand homme le permet", écrira son propre compte rendu (HA Aurel. xxiv 2 9 ). Il est clair, d'après la mention faite peu après d'un traducteur appelé Nicomachus (ibid. xxvii 6 ), qu'il pense à la traduction de Nicomachus Flavianus ; probablement tout l'incident est-il tiré d'un autre ouvrage de Nicomachus, les Annales. Cependant, l'auteur n'a pas seulement lu Nicomachus, mais s'est imprégné d'une partie de son esprit. Apollonios est "plus qu'humain", c'est un sauveur, et sa "faveur" opère toujours de façon bénéfique dans les affaires humaines.


La façon dont l'Historia Augusta parle d'Apollonios et de son influence continue sur l'humanité rappelle la nouvelle épigramme, et il est tentant de la placer dans le contexte de la lutte menée par le paganisme et le Christianisme au quatrième siècle. Cependant, il a été vu qu'un tel langage ne dépasse pas beaucoup, si tant est qu'il le puisse, la divinisation domestique illustrée par de nombreuses épigrammes funéraires du haut empire, de sorte qu'une date du troisième siècle ne doit pas être rejetée. Cependant, si la date doit donc demeurer incertaine, il n'y a aucun doute sur l'importance de ce nouveau texte pour l'histoire d'Apollonios et sa légende.

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