Le Centre sacré des Gaules : Montjoie et Saint-Denis
Selon l'historienne Anne Lombard-Jourdan, Montjoie pourrait signifier mundgawi, "Protecteur du pays". Les deux termes germaniques "mund" et "gawi", soit "protection" et "territoire", renverraient à un tertre sacré où aurait été vénéré un dieu ou un héros, protecteur du pays et de ses habitants, situé entre Saint-Denis et Paris auxquels les Francs à la suite des Gaulois auraient attribué une puissance sacrée, celle du "Protège-pays".
La figure tutélaire du "Protège-pays" aurait été invoquée lors des combats par les Francs et serait devenu le cri de guerre des rois de France. À l'arrivée des Francs, l'ancêtre divinisé auquel une crainte respectueuse empêchait de donner un nom, fut désigné en leur langue par "mundgawi", puis le qualificatif appliqué au héros s’étendit au tertre funéraire qui abritait son corps. Ce n'est donc pas Chartres qui aurait été le Centre des Gaules mais la plaine de Lendit. Selon Anne Lombard-Jourdan, le Lendit fut un centre religieux, politique, économique à l'époque de la Gaule indépendante et conserva à travers les siècles un rayonnement dont bénéficia et que sut exploiter l'abbaye de Saint-Denis. L'intelligentsia dionysienne attribua ainsi la fondation du monastère à Dagobert, obtenant ou forgeant les diplômes royaux propres à assurer à Saint-Denis une totale exemption et le contrôle des foires dont celle du Lendit, ce qui permit à l'abbaye de s'attacher l'appui de la monarchie franque puis française. Elle composa les textes exaltant la figure de Saint-Denis et récupéra à son profit le prestige lié au site du Lendit.
Pour Anne Lombard-Jourdan, transparaît derrière cette récupération une tradition païenne de première importance qui s'attachait depuis l'époque celte à un tumulus situé au cœur de la plaine du Lendit, baptisé mund-gawi par les Francs ("Celui qui protège le pays"), d'où le terme de Montjoie. Ce lieu aurait été véritablement un lieu de rassemblement économique et religieux des Gaulois, une étape sur la route de l'étain entre la Cornouailles et la Méditerranée. C'est le Centre druidique, le sanctuaire des Gaules. Dans le but d’exorciser ce lieu de culte païen, Saint-Denis devint l’équivalent et le substitut du "Protège-pays". Son nom rejoignit celui de "Munjoie" dans l’appel des guerriers en détresse.
La sacralité de la plaine de Lendit :
D’après la Gloriosæ, la première Vie de Saint-Denis, datant l'an 500, il existe un lieu trois fois saint au Lendit. Il est en effet question dans l'hagiographie d'un "vénérable lieu triple" où se déroula le martyr des trois saints: Denis, Rustique, Éleuthère. Si l’endroit est déjà un "vénérable lieu triple", c’est qu’il est un sanctuaire ancestral dédié à trois divinités gauloises. Anne Lombard-Jourdan rapproche cette mention d'un lieu trine à celle de la trinité de dieux gaulois rapportée par Lucain dans la Pharsale, les peuples de la Celtique étaient les gardiens du sanctuaire d'une triade de grands dieux, où s'accomplissaient de sanglants sacrifices. Il donne le nom des trois divinités majeures: Teutatès, le dieu de la tribu, Ésus assimilé tantôt à Mars ou à Mercure, et Taranis, dieu du tonnerre.
Nous trouvons mentionné chez Raoul de Presles (XIVe s.) ce lieu, il identifie le Centre des Gaules avec le nord de Paris et à un Mons Jovis.
En juin 310, pour les fêtes du Solstice, Constantin serait venu dans le "plus beau temple du monde" aux dire des panégyristes Gaulois, qu'Anne Lombard-Jourdan identifie au Lendit, afin d'y recevoir l'Oracle d'Apollon. On lui aurait offert trois couronnes de laurier portant le symbole solaire de la croix décussée, évoquant le chiffre X, soit un présage de trente années de vie. Anne Lombard-Jourdan rapproche cette mention d'un tricennum omen annorum avec l'oracle Tricine mentionné par Raoul de Presles. A noté que les Gaulois célébraient une fête dédiée au dieu Saturne tous les trente ans, cycle de la planète qui revient à son point de départ toutes les trente années. On lui aurait également remit une arme à cette occasion, une arme sacrée d'invincibilité (le labarum).
L'empereur Julien se serait également rendu au Lendit pour y convoquer deux fois ses partisans en 360. Lorsque les troupes l'eurent proclamé Auguste le 1er mai 360, Julien convoqua le lendemain ses partisans dans une plaine et monta sur une tribune, qu'Anne Lombard-Jourdan assimile respectivement au Lendit et à son perron. Ce site explique le séjour de l'empereur Julien à Lutèce, à proximité du site religieux national gaulois du Lendit.
Quant à l'oriflamme, à l'origine bannière de l'abbaye de Saint-Denis, il s'inscrit dans l'antique labarum, mot d'origine celtique qui définirait un signe de ralliement militaire. Le labarum comportait deux éléments: d'une part un grand fer de lance, d'autre part un attribut divin, sorte d'arme double, qui était inséré au milieu de ce fer et en constituait la partie essentielle et active. Ce labarum était conservé au sanctuaire central des Gaules au nord de Paris, dans la plaine Saint-Denis: le Lendit. Pour étayer sa démonstration, Anne Lombard-Jourdan décrit la lance impériale germanique, considérée comme une copie du labarum et conservée aujourd'hui au musée de Vienne en Autriche. Liutprand de Crémone, au Xème siècle, nous apprend que cette lance aurait été brandie par Constantin, en 312, lors de la célèbre bataille du pont Milvius. La lance actuelle ne peut remonter au IVe siècle, mais elle est l'image exacte de la lance de Constantin ; elle servit pendant des siècles de symbole de souveraineté et d'investiture aux empereurs germaniques. La lance est devenue la lance de Charlemagne, puis bannière de Saint-Denis. C'est à proprement parler l'oriflamme, signe de souveraineté et de protection céleste pour la dynastie capétienne, dont le prestige décroit à partir du XVe siècle. L'arme que tient Zeus lançant la foudre (d'après une statuette du Ve siècle avant J.-C.) présenterait de grandes analogies avec l'arme double insérée verticalement dans le fer de la sainte lance germanique. Cette lance fut très tôt assimilée à la lance mythique de la Passion, celle de Longin, qui perça le flanc du Christ en croix. Instrument de salut, elle ouvrit aux mortels la voie du Paradis. Cette arme procure invincibilité et puissance, elle est accordée par les dieux à un héros sauveur tout comme le labarum. Cette arme jette des flammes qui émanent du bout de la lance, ce que l'étendard de Saint-Denis a su préserver (triple flamme). Le dieu tout puissant des Gaulois offre l'arme d'invincibilité au roi qui chassera les démons, protégera et fructifiera le royaume. C'est l'arme du dieu Lugh. Un rapprochement est fait avec l'éclair, la voix du dieu du tonnerre, autrement dit de la guerre, auquel l'arme devient un javelot meurtrier qui ne manque jamais sa cible.
De nombreuses traces de cultes celtiques ont été christianisé, la plaine de Lendit et le labarum en font partie.
Sources :
Titre : Fleur de lys et oriflamme
Auteur : Anne Lombard-Jourdan
Editions : CNRS
Titre : Montjoie et Saint Denis : Le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis
Auteur : Anne Lombard-Jourdan
Editions : CNRS