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Sagesse oubliée de Plutarque


Plutarque

Plutarque


Né peu avant 50 ap. J-C. à Chéronée, en Béotie, il y vécut la plupart de sa vie, et y mourut. La Grèce était alors une province romaine. Il vécut sous les empereurs Néron (54-68), Vespasien (69-79), Titus (79-81), Domitien (81-96), Nerva (98-98), Trajan (98-117) et vit le début du règne d’Hadrien (117-138). Si nous connaissons Plutarque pour ses ouvrages phares tel que Isis et Osiris et l'E de Delphes, il nous est moins connu pour son oeuvre de médiation sur le monde et les hommes. A l'image des grandes sagesses asiatiques, les hommes de l'Antiquité qui vécurent sur le pourtour méditerranéen ont également observé le monde, les hommes et les causes de la souffrance. Le philosophe Plutarque nous a légué de belles réflexions à ce sujet, et nous allons partager quelques unes de ses pensées. L'ensemble de cette réflexion provient de son ouvrage De la tranquillité de l'âme.


"J'ai reçu trop tard votre lettre pour vous envoyer quelques unes de mes idées sur la tranquillité de l'âme, que vous me demandez, et pour vous donner les éclaircissements que certains endroits du Timée rendent nécessaires. Elle m'est parvenue dans le temps qu'Éros, notre ami commun, a été obligé de partir précipitamment pour Rome où il était appelé par Fundanus, qui, comme vous savez, est toujours fort pressant. Je n'ai donc pu m'occuper à loisir de ce que vous me demandiez ; mais ne voulant pas qu'Éros, en me quittant, parût devant vous les mains vides, je vous envoie quelques réflexions générales sur la tranquillité de l'âme, qui ne sont qu'un extrait de ce que j'avais autrefois rassemblé sur cette matière pour mon propre usage. Je pense que vous y chercherez bien moins la beauté et les grâces du style, que l'instruction et l'utilité. Je sais d'ailleurs que quoique vous soyez admis dans la société des grands, et que vous jouissiez au barreau de la réputation la plus brillante, vous n'êtes pas comme ce Mérope de la tragédie, qui s'enivra des applaudissements du peuple jusqu'à en perdre la raison. Vous vous souvenez de ce que je vous ai souvent répété, qu'une riche chaussure ne guérit pas de la goutte, ni un anneau précieux des panaris, ni le diadème des maux de tête."

 

"Ceux donc qui attachent la tranquillité à tel genre de vie particulier, comme à l'agriculture, au célibat, à la royauté, peuvent être détrompés parce passage de Ménandre :


Je croyais, Phania, qu'au sein de l'abondance,

A l'abri des besoins de la triste indigence,

Les riches sans chagrin étaient vraiment heureux,

Et que le doux sommeil fermait toujours leurs yeux.


Mais quand, après les avoir fréquentés, il eut vu ces hommes si riches sujets aux mêmes peines que les pauvres, il reconnut alors


Que de tous les humains redoutable fléau,

Le chagrin constamment les suit dès le berceau ;

II vit dans les honneurs, il vit dans l'opulence,

II vieillit avec eux au sein de l'indigence.


Ceux que la mer incommode, ou qui craignent les dangers de la navigation, s'imaginent qu'ils se trouveront mieux en passant d'une chaloupe dans une barque, et d'une barque dans un grand vaisseau ; mais que gagnent-ils à ces changements ? Ils portent partout avec eux ou les humeurs que met en mouvement l'agitation de la mer, ou la timidité qui leur est naturelle. De même, nous avons beau changer d'état, nous ne sommes pas délivrés pour cela des affections de l'âme, qui nous affligent et nous troublent ; de l'inexpérience, du défaut de jugement, et surtout de cette inquiétude d'esprit qui fait que nous ne sommes jamais contents de notre condition présente. Voilà ce qui agite également les riches et les pauvres, les gens mariés et les célibataires ; voilà ce qui les éloigne de l'administration des affaires, et qui leur rend bientôt le repos insupportable ; voilà enfin ce qui les porte à se produire dans les cours, et qui les dégoûte ensuite de l'état de courtisans.


On ne peut aisément contenter un malade.

Sa femme l'importune, il accuse son médecin, il s'en prend à son lit :


Il se plaint d'un ami qui vient le visiter ;

Il ne s'en plaint pas moins quand il veut le quitter,


a dit le poète Ion. Mais quand la maladie a cessé, et que les humeurs ont repris leur équilibre, alors la santé revenue lui fait trouver tout bon et agréable. Hier, il rejetait avec aversion les œufs, le biscuit et le pain mollet ; aujourd'hui il mange avec délices du pain bis, des olives et du cresson."

 

"La chaussure prend la forme du pied, et non le pied celle de la chaussure ; de même la vie des hommes se forme sur les dispositions de leur âme. Ce n'est pas l'habitude qui rend bon et agréable le genre de vie qu'on a choisi, comme quelqu'un l'a dit ; c'est la sagesse seule qui fait l'honnêteté et la douceur de la vie. Puis donc que nous avons en nous-mêmes la source de la tranquillité, travaillons à l'épurer de plus en plus ; par là, familiarisés d'avance avec les accidents du dehors, nous les supporterons sans aigreur.


Contre les coups du sort votre colère est vaine,

Il est sourd à vos cris : il faut pour être heureux

Que dans tous les états la vertu vous soutienne."

 

"C'est donc un moyen bien puissant, pour conserver la tranquillité de l'âme, que de se considérer principalement soi-même, et ce qui convient à son état, ou même de jeter les yeux sur ceux qui sont au-dessous de nous. Mais presque tous les hommes font le contraire ; ils portent leurs regards sur ceux qui sont plus élevés qu'eux. Les esclaves se comparent avec les affranchis, les affranchis avec les personnes libres, les personnes libres avec les citoyens, les citoyens avec les gens riches, les gens riches avec les gouverneurs de province, ceux-ci avec les rois, et les rois avec les dieux, dont ils voudraient pouvoir lancer la foudre ; ainsi, toujours privés de ce qu'ils voient au-dessus d'eux, ils ne jouissent jamais de ce qu'ils ont (...)."

 

"Les richesses, les honneurs, la royauté même sont en proie à mille chagrins de cette espèce que le vulgaire n'aperçoit pas, séduit par le faste qui les environne."

 

"La principale cause de cet aveuglement est notre amour-propre, qui nous porte à vouloir primer en tout, qui nous rend opiniâtres dans nos prétentions et nourrit en nous une insatiable cupidité. On veut être tout à la fois riche, savant, robuste, convive agréable et homme du bon ton. On recherche la faveur des rois et les premières places dans les villes. Que dis-je? On désire même les plus beaux chiens, les meilleurs chevaux, les cailles et les coqs les plus hardis au combat ; et dans ces choses mêmes l'infériorité nous désespère."

 

"Nous ne demandons pas que la vigne porte des figues, ni l'olivier des raisins. Plus inconséquents par rapport à nous-mêmes, si nous ne réunissons les avantages des riches, des savants, des guerriers, des philosophes, des flatteurs, des hommes vrais et sincères, des économes et des prodigues, calomniateurs ingrats de notre vie, nous la méprisons, nous l'accusons d'impuissance et de pauvreté. Considérons la marche de la nature ; elle est un reproche de notre injustice ; elle a destiné aux divers animaux une pâture différente: ils ne se nourrissent pas tous de chair, de fruits ou de racines. De même, elle fournit aux hommes divers moyens de subsistance : l'un vit de son troupeau, et l'autre de sa culture; celui-ci de la chasse, celui-là de la pêche. Choisissons l'état qui nous convient, et travaillons à le faire valoir, sans envier le partage des autres, et ne prouvons point, par notre conduite, qu'Hésiode est encore resté au-dessous du vrai, quand il a dit :


On voit que le potier au potier porte envie,

Que le maçon toujours jalouse le maçon.


En effet, ce n'est pas seulement entre les hommes d'une même profession qu'on voit régner cette jalousie. Les riches portent envie aux savants, les nobles aux riches, les orateurs aux philosophes, et, le croirait-on? Des hommes libres, des gens d'une haute naissance, ne rougissent pas de regarder avec une stupide admiration des comédiens qu'on applaudit sur les théâtres, des histrions et des esclaves parvenus dans les cours. Le bonheur qu'ils attachent à de pareils succès les jette dans le trouble et dans le découragement."

 

"La vie déplaît, et l'on craint de la quitter. Celui donc qui connaît la nature de son âme, qui sait que la mort n'est pour lui qu'un passage à une condition meilleure, ou du moins aussi bonne, trouve dans ce mépris de la mort un des plus sûrs moyens d'avoir l'âme tranquille. Quand la vertu, quand la portion la plus noble de nous-mêmes domine sur la fortune, le sage vit content de sa condition ; mais si des passions étrangères à sa nature viennent l'assaillir et prennent le dessus, il s'en dégage sans crainte, en disant :


Un dieu, quand je voudrai, saura m'en affranchir."

 

"Mais quand nous voyons notre propre vie livrée à une sombre tristesse qui la consume, sans cesse déchirée par des passions affligeantes, par des soins et des sollicitudes qui n'ont point de bornes, nous ne voulons ni chercher en nous-mêmes un soulagement à nos peines, ni recevoir les consolations que d'autres nous présentent. Si nous savions en faire usage, elles nous feraient jouir du présent d'une manière irréprochable ; elles nous rappelleraient avec joie le souvenir du passé, et nous conduiraient à l'avenir avec cette douce espérance que la crainte et les soupçons ne nous enlèveraient jamais."


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