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La doctrine des cycles cosmiques et de l'humanité chez les Ikhwan Al-Safa


Personnage sur un manuscrit fatimide

Les Ikhwan al Safa’ (les Frères de la Pureté) furent affiliés à une fraternité ésotérique basée à Bassora et à Bagdad dans le dernier quart du 10ème siècle. Les savants adeptes de cette fraternité ont écrit un compendium, le Rasa’il Ikhwan al Safa’ (Les Epîtres des Frères de la Pureté), qui a été structuré sous forme encyclopédique. Ce volumineux travail regroupe cinquante deux volumes qui traitent de thèmes en mathématiques, en musique, en logique, en astronomie, en physique et en sciences naturelles, aussi bien que des explorations sur la nature de l’âme et des recherches sur des sujets associés en éthique, sur les révélations et sur les sciences spirituelles.


Le Rasa’il Ikhwan al-Safa’ (Les Epîtres des Frères de la Pureté) servent une place de choix aux sciences dites « occultes », telles l’astrologie, l’alchimie et la magie sous ses différentes formes. La « science du ciel » (‘ilm al-nujum) comprend à la fois l’astronomie et l’astrologie à cette époque, cette discipline est omniprésente dans le Rasa’il et elle nous permet de saisir comme aucune autre les motivations profondes des auteurs. Les Ikhwan lui consacrent trois épîtres : l’épître 3 (« Sur l’Astronomie »), qui définit les principales notions ; l’épître 16 (« Sur le ciel et le Monde »), qui situe ces notions dans un cadre principalement aristotélicien ; enfin l’épître 36 (« Sur les Cycles et les Révolutions »), qui est l’épître astrologique par excellence. En vertu des liens unissant le monde d’en haut et le monde sublunaire soumis à la génération et à la corruption, les auteurs postulent que toute révolution ou conjonction astrale exerce nécessairement une influence sur un cycle du monde ici-bas. Les Ikhwan accordent une grande importance à certaines périodes millénaires, en particulier les cycles de 360 000 ans, de 36 000 ans et de 7 000 ans. Dans ces domaines, il apparaît que le savoir des Ikhwan est une sorte de synthèse de doctrines héritées de traditions indienne, iranienne et grecque.


Le cycle de 360 000 ans est considéré comme le plus grand cycle de l’univers. Il correspond à la définition platonicienne de la Grande Année, définie comme la période de temps nécessaire pour que les sept périodes de révolutions planétaires (Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne) reviennent ensemble en conjonction par rapport au premier degré (dans le Bélier) de la huitième sphère, celle des étoiles fixes. La valeur donnée ici à ce cycle dérive des spéculations astronomiques indiennes, vraisemblablement transmises à l’Islam via l’Iran sassanide affirme le professeur Godefroid de Callataÿ. Cette période est appelée « Cycle des Persans » par Abu Ma‘shar, le plus inluent astrologue du Moyen-Âge et qui fut une source de premier plan pour les Ikhwan. Le cycle de 36 000 ans est la période de précession des équinoxes avec la valeur canonique qui lui fut attribuée depuis Ptolémée. On attribue généralement à Hipparque (2ème s. avant J.-C.) la découverte du fait que l’axe de rotation de la sphère des fixes n’est pas fixe mais accomplit une lente révolution (25 920 ans précisément) autour du pôle de l’écliptique, entraînant le déplacement de l’ensemble de la sphère. Les Ikhwan rendent ce mouvement responsable de l’alternance périodique des continents et des mers à la surface de la terre. Le cycle de 7 000 ans est sans doute le plus important de tous aux yeux des Frères de la Pureté puisqu’ils en font le cadre de leur doctrine des cycles prophétiques. À l’instar de nombreux auteurs ismaéliens, les Ikhwan postulent en effet qu’à chaque millénaire constituant ce cycle correspond la venue d’un prophète (Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus, Muhammad, et le Qa’im de la Résurrection) inaugurant une religion qui abroge la précédente.


Les Ikhwan afirment aussi que les souverains temporels de leur temps sont des usurpateurs et que le sens ésotérique de la révélation doit être transmis secrètement (d’où l’image des Dormants de la Caverne dans la Sourate 18 du Coran) par une élite jusqu’au jour où une conjonction marquera la venue tant attendue du dernier millénaire et du Qa’im, le dernier prophète du cycle, rendant inutiles les Lois antérieurement promulguées. Le schéma tout entier repose sur la doctrine astrologique dite du transfert des triplicités des conjonctions de Jupiter et Saturne, une théorie héritée de l’Iran sassanide et qui a connu, tant chez les savants arabes que chez leurs successeurs latins du Moyen-Âge, un succès retentissant. Trois types de conjonctions de Jupiter et Saturne sont généralement définis : (1) les « conjonctions courtes », tous les 20 ans, et qui correspondent au remplacement d’individus sur le trône royal ; (2) les « conjonctions intermédiaires », tous les 240 ans, correspondant au transfert d’une dynastie à l’autre ; (3) les « conjonctions longues », tous les 960 ans (valant « environ 1 000 années lunaires », au dire des Ikhwān), correspondant aux changements d’empires et de confessions religieuses.


Un croisement des regards peut être fait sur l'importance du nombre 7 chez les Ikhwan avec les anciennes conceptions antiques de l'univers tel l'Egypte et la Mésopotamie, ou encore avec le monde indo-européen. Dans la religion zoroastrienne, le grand dieu Ahura Mazda est entouré de 6 entités pour former une heptade, ce sont les Amesha Spentas :


- Vohu Mano : Bonne Pensée

- Asha Vahishta : Meilleure Rectitude

- Xshathra Varya : Empire Désirable

- Spenta Armaiti : Bénéfique Pensée Parfaite

- Haurvatat : Intégrité

- Ameretat : Non-Mort


Dans cette religion de l'ancien Iran, les 7 Amesha Spentas influençaient toute forme de vie au cours de l'année et ils se succédaient les uns des autres à travers un système cyclique. Les zoroastriens pensaient de la même manière que les Ikhwan, c'est-à-dire cycliquement. Les zoroastriens pensaient que tous les bouleversements en notre monde dépendaient de l'agencement des planètes, et notamment du cycle solaire annuel, par lequel des séries de « prophètes » venaient redresser l'Asha de l'univers, l'équivalent du Dharma hindou. Tout le cycle de la cosmologie du zoroastrisme aboutissant à la transfiguration finale du monde, toute l'orientation eschatologique du futur Sauveur iranien devait anéantir l'oeuvre de l'obscurité afin d'instaurer celle de la Lumière. Cette rénovation du monde est présente également dans les textes hindous, il y a une parenté entre le Zoroastrisme et l'Hindouisme.


Cette notion de cycles millénaires a été également élaboré par les hermétistes harraniens, ils ont, en effet, interprété le début du 2ème traité d'Hermès Trismegiste intitulé « Cratère » ou la « Monade » selon une vision cyclique. Hermes y explique à Aristote que chaque planète régit une région de la terre, or dans les traités de géographies de l'époque il existait 7 régions dominées par un astre, pendant 1 000 ans ; après quoi, elle est remplacée dans cette charge par une autre planète. C'est que tous les 1 000 ans, la voûte céleste se déplace d'un degré, et la sphère extérieure dont le mouvement entraîne les autres sphères engendre un nouveau fluide universelle qui se subdivise en 12 autres fluides destinés à passer chacun par un signe du zodiaque. Ces fluides circulent ensuite « dans les sphères célestes, les maisons et les stations, et chaque fois qu'une planète passe près d'eux, ils produisent une modification de son état ». Le pouvoir qu'exerce telle planète sur une région va déclinant vers la fin du millénaire et quand celui-ci touche à son terme. La voûte céleste s'étant à nouveau déplacée d'un degré, les planètes, privées du fluide spirituel qu'elles recevaient, sont empêchées d'agir. Mais chaque planète est remplacée dans son gouvernement par une autre qui alors recevra un nouveau fluide spirituel et « il apparaît quelque chose d'autre, ainsi que de nouvelles créatures. » Ces changements entrainent troubles et guerres, des bouleversements géologiques et climatiques, des changements de dynasties, de religions et de législations.



Ikhwan Al-Safa

A côté de cette science du ciel s'agence la science des lettres, les Ikhwan vont expliquer que 7 lettres arabes correspondent aux 7 astres dont l'influx divin permutent au cours des millénaires. Dans le Coran, nous pouvons lire ceci :


« Lorsqu'Il décide une chose, Il dit seulement : « Sois », et elle est aussitôt. »

Sourate Baqarah, verset 117

En arabe, il y a 7 lettres dans la phrase « Sois, et elle est aussitôt » qui sont respectivement : KNFYKWN. Ces 7 lettres possèdent le secret des cycles des 7 planètes durant les 7 000 ans tel que défini par les Ikhwan, ces deniers vont également associer une musique des sphères dans laquelle une harmonie cosmico-psychique va organiser la distribution de l'influx divin depuis l'Empyrée jusqu'aux plus petites particules de matière. L'Homme nouveau, rénové, qui devient le Résurrecteur à la fin des sept millénaires se conjugue à la formation humaine citée dans le Coran, dont le nombre de phase coïncide à nouveau au nombre 7 :


« Ô hommes! Si vous doutez au sujet de la Résurrection, c’est Nous qui vous avons créés de terre, puis d’une goutte de sperme, puis d’une adhérence puis d’un embryon [normalement] formé aussi bien qu’informe pour vous montrer [Notre Omnipotence] et Nous déposerons dans les matrices ce que Nous voulons jusqu’à un terme fixé. Puis Nous vous en sortirons [à l’état] de bébé, pour qu’ensuite vous atteignez votre maturité. Il en est parmi vous qui meurent [jeunes] tandis que d’autres parviennent au plus vil de l’âge si bien qu’ils ne savent plus rien de ce qu’ils connaissaient auparavant. De même tu vois la terre désséchée: dès que Nous y faisons descendre de l’eau elle remue, se gonfle, et fait pousser toutes sortes de splendides couples de végétaux. »

Sourate Le pèlerinage, verset 5

Le tableau de correspondance suit la Loi d'analogie et d'homologie, nous avons une stratification en 7 phases dans le Coran qui suit l'avènement de 7 prophètes, de 7 planètes et de 7 lettres :


Terre / Adam / Saturne / K

Goutte de sperme / Noé / Jupiter / N

Adhérence / Abraham / Mars / F

Embryon / Moïse / Soleil / Y

Déposerons dans les matrices / Jésus / Vénus / K

Bébé / Mohammed / Mercure / W

Vous qui meurent / Sauveur Qa'im / Lune / N

C'est ainsi que tout le secret de la Création réside dans deux lettres, la première K et la dernière N dont la valeur réciproque est de 20 (K) et 50 (N). Le nombre 70 aboutit à l'heptade sacrée multiplié par dix, et la somme totale indique la lettre 'Ayn par laquelle le fondement de l'univers advient à être manifesté. Or l'Imam éternel chez les ismaéliens n'est autre qu'Ali, le gendre du prophète Mohammed et père du futur Sauveur, dont la graphie arabe Ali s'écrit justement avec un 'Ayn en première lettre suivit d'un L puis d'un Y ('LY). Il est donc celui qui détient les clés universelles de la Connaissance ultime, Celui qui par tout jaillit. Il est le Secret même de l'univers.


 

Sources :


Titre : Les frères de la pureté, pythagoriciens de l'Islam. La marque du pythagorisme dans la rédaction des Epîtres des Ihwan as-Safa

Auteur : Yves Marquet

Editions : Archè, textes et travaux de Chrysopoeia


Titre : La philosophie des Ikhwan al-Safa

Auteur : Yves Marquet

Editions : Archè, textes et travaux de Chrysopoeia


Titre : Les révolution et les cycles

Auteur : Godefroid de Callataÿ

Editions : Al-Bouraq

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